Les causes de la surdité




Nous avons évoqué quelques-uns des multiples dangers que peut rencontrer notre audition dont on a souligné la fragilité. Mais avant d'en parcourir rapidement le catalogue, nous allons en préciser les principaux mécanismes. Ainsi comprendra-t-on mieux comment celles-ci peuvent être palliées ou guéries.
Car il ne s'agira pas ensuite d'une description fataliste et résignée, mais au contraire de la description de tous les moyens - nous les détaillerons plus loin - que l'on a pour éviter, compenser ou supprimer ces multiples raisons d'être sourd, ou du moins dans quelques cas, d'espérer y parvenir prochainement.

DIAGNOSTIC DU MECANISME DE LA SURDITE


On distingue quatre types de surdités.

Distinguer la part de ces deux mécanismes dans une surdité est important, car cela permet de comprendre les possibilités et les difficultés thérapeutiques. En gros, on peut dire qu'aujourd'hui les surdités de transmission ne posent plus guère de problème : la chirurgie ou l'appareillage en viennent très bien à bout, et de manière satisfaisante pour le patient, puisque les prothèses éventuellement utilisées sont généralement de très petit volume et donc bien dissimulables. A l'opposé, les surdités de perception sont plus difficiles à pallier. Le geste éventuel du chirurgien sera peu efficace et parfois aggravera les choses. Les médicaments qu'il pourrait prescrire ne sont souvent pas très actifs. Quant aux appareillages, assez fréquemment elles distordent les sons, elles exagèrent les bruits, et de ce fait elles ne sont pas toujours bien acceptées par les patients. Cependant, les possibilités récentes dont viennent de bénéficier les prothèses auditives, grâce à leur numérisation, représentent un réel progrès.

Mais, il faut bien se dire qu'il y a cinquante ans, les surdités de transmission étaient elles aussi pratiquement insurmontables. Même le sonotone le plus volumineux, à lampe et à fil, n'améliorait guère les choses. On mesure les progrès effectués ! Et d'ailleurs de nos jours déjà le mur de la surdité de perception commence lui aussi à s'effondrer. Des médicaments puissants permettent maintenant de faire remonter la courbe de certaines surdités de perception sévères. Les prothèses peu à peu s'adaptent aux particularités de ces atteintes de l'oreille interne. Le mariage enfin du bistouri et du micro-processeur, en enfantant l'implant cochléaire, a permis depuis plus d'une décennie de sortir du silence les patients présentant une surdité totale.

Les moyens du diagnostic

Il faut décrire succinctement les moyens que l'on a pour objectiver une surdité, mesurer son importance, déceler son type, et pressentir à quel endroit siège la lésion responsable. Beaucoup de tests nous permettent d'apprécier la qualité de notre audition et comprendre où se trouve l'éventuelle gêne auditive qui nous frappe. Certains de ces tests sont très rustiques et d'autres très sophistiqués. Il convient de les passer rapidement en revue.

La voix haute est une source sonore dont l'intensité est d'environ 60 à 70 dB au voisinage de la bouche du locuteur. La voix chuchotée au contraire se trouve aux alentours de 30 à 40 dB. Parler de ces deux manières à l'oreille permet de se rendre compte, approximativement mais rapidement, de l'importance de la perte auditive. Le diapason est un instrument essentiel pour le médecin O.R.L. Je ne décrirai pas les milles et une façon de s'en servir, qui permettent très facilement de faire le diagnostic de surdité de transmission ou de perception, et souvent même d'en apprécier quantitativement la sévérité.


Le mécanisme de la surdité s’exprime clairement par l’audiogramme.
Cet examen consiste à faire entendre un son de fréquence pure avec une intensité de plus en plus forte, pour apprécier à partir de quelle
intensité le patient sourd commence à percevoir cette fréquence. Ce seuil auditif "liminaire" s'apprécie en décibels (dB) d'une manière relative, puisqu'elle se définit par rapport à l'audition des sujets normaux. Cette perte s'exprime en dB HL (Hearing Level).
C'est la seule qui nous intéresse, même si, bien sûr, le seuil liminaire du sujet normal nécessite une certaine puissance, qui s'exprimerait en dB SPL (Sound Pressure Level) par rapport au 0 dB absolu, qui est produit par une pression de 20 micropascals.
Puis on apprécie pour cette même fréquence le
seuil douloureux, ou inconfortable, qui chez le sujet normal avoisine les 100 dB et correspond d'ailleurs à l'intensité qui commence à être dangereuse pour l'oreille.
La même opération est effectuée pour l'éventail des 7 principales
fréquences (de 125 Hz à 8000 Hz) du spectre auditif de l'homme, et réalisée successivement pour les deux oreilles

On explore ainsi deux manières d'entendre.

La conduction aérienne est l'audition obtenue avec un haut-parleur plaqué sur le pavillon de l'oreille. Elle objective notre audition pratique de tous les jours.
L'audiogramme est un graphique dont l'abscisse étale horizontalement l'éventail des fréquences, et dont l'ordonnée exprime l'intensité nécessaire à l'obtention du seuil liminaire, de telle manière que l'audition du sujet normal soit représentée par une ligne horizontale courant tout en haut de l'audiogramme. La perte auditive d'un sujet sourd s'exprime en une ligne qui plonge, de manière plus ou moins brisée selon les fréquences, vers le bas du graphique.

La conduction osseuse fait appel à la sensation fournie par un vibreur placé sur l'os de la mastoïde derrière l'oreille. Cette vibration osseuse ébranle la totalité de la boîte crânienne, cochlée comprise, et par inertie entraîne des déplacements des liquides et des cellules sensorielles, à l'origine du son entendu. En court-circuitant l'action de l'oreille externe et de l'oreille moyenne, cette conduction osseuse donne une image précise des possibilités cumulées de l'oreille interne, du nerf et des centres cérébraux auditifs.
Mais pour obtenir la même sensation qu'en conduction aérienne, la stimulation en conduction osseuse doit apporter - de manière variable selon les fréquences - au moins mille fois plus d'énergie, c’est-à-dire qu'il y a toujours au moins 30 dB de différence entre les intensités des deux types de stimulation.
Là aussi les pertes auditives d'un patient s'inscrivent en décibels par rapport à l'audition d'un sujet normal.

Audiogramme normal

Audiogramme normal


Chez un sujet qui entend bien, les deux courbes aérienne et osseuse sont plus moins collées en haut du graphique.

ll faut cependant savoir que la significativité de ces courbes ne dépasse généralement pas 5 dB, en raison des erreurs inéluctables, liées non pas tellement à l'appareillage, mais surtout aux variations de l'attention du sujet lors de cet examen, qui reste un test subjectif.

Les cliniciens distinguent plusieurs types de surdités:

Surdité de transmission
En cas de surdité de transmission, la courbe de conduction osseuse reste collée en haut, car l'oreille interne est normale ; mais la courbe de conduction aérienne descend plus ou moins bas, sans dépasser 40 à 50 dB, sauf certains cas très particuliers tels par exemple les malformations d'oreille.


Surdité de transmission

Le premier caractérise celles qui sont liées à un obstacle dans la transmission des sons jusqu'aux liquides de l'oreille interne : ce sont les surdités de transmission. La courbe de conduction osseuse reste collée en haut, car l'oreille interne est normale ; mais la courbe de conduction aérienne descend plus ou moins bas, sans dépasser 40 à 50 dB, sauf certains cas très particuliers tels par exemple les malformations d'oreilles.

Surdité de perception

Surdité de perception
Dans les surdités de perception, l'oreille interne est atteinte. Les deux courbes, tout en restant collées, s'effondrent plus ou moins profondément, mais bien souvent en prédominant sur les fréquences aiguës.

Le deuxième groupe rassemble les surdités qui sont la conséquence d’une atteinte de l'oreille interne, ou d’une lésion du nerf auditif ou des centres cérébraux: ce sont les surdités de perception.

Surdité mixte

Surdité mixte
En cas de surdité mixte, en plus de cet effondrement de la courbe osseuse, la courbe aérienne descend encore plus bas, et cette part de transmission surajoutée augmente encore la gêne de celui qui en est atteint.
L'écart entre les courbes osseuses et aériennes mesure la perte liée à un obstacle dans la transmission des sons, siégeant entre l'extérieur et l'oreille interne. Cette atteinte de transmission est généralement elle aussi curable par une opération. L'écart entre les deux courbes objective l'amélioration théorique que l'on peut obtenir en agissant sur la mécanique de cette transmission.

Le troisième groupe constitue les surdités mixtes. Elles associent un obstacle à la transmission des sons, à une atteinte plus ou moins importante de perception.

Surdité profondes et surdités totales

Elles sont cliniquement caractérisées par:

Ces surdités relèvent uniquement de l'implant cochléaire.

en savoir plus sur l'implant cochléaire

L'audiogramme vocal consiste à faire entendre des mots, et à demander au sujet de répéter ce qu'il a entendu. Une courbe permet de compter en pourcentage les erreurs réalisées en fonction de l'intensité du message transmis Ces erreurs, liées souvent à des distorsions que l'audiogramme tonal ne décèle pas, mesurent la gêne auditive réelle, et il existe parfois une discordance entre un audiogramme tonal très peu perturbé et un audiogramme vocal au contraire fort mauvais.

La mesure des oto-émissions a un grand intérêt chez le nouveau-né et le nourrisson. Elle objective tout de suite si celui-ci a une audition normale ou s'il présente une surdité, même légère. Dans ce cas, cet examen permet de déclencher des tests plus complexes, qui sinon seraient inutiles. Mais en pratique pour l'instant l'emploi des oto-émissions, qui permet d'avancer à grand pas dans la compréhension des mécanismes de l'audition normale, est d'un apport restreint pour aider, notamment chez l'adulte, au diagnostic des différents types de surdité.

Par contre l'enregistrement des modifications de l'électroencéphalogramme (PEA =potentiels auditifs évoqués) sous l'influence d'un stimulus sonore présente un énorme intérêt. Cet examen donne un reflet objectif de l'audition, même chez le sujet endormi. Il permet d'enregistrer cinq ondes, dont chacune traduit dans les premières millisecondes qui suivent l'émission sonore, l'action des éléments nerveux situés entre l'oreille interne et la profondeur du cerveau. Ainsi peut-on savoir si ces structures sont normales, ou si au contraire elles sont atteintes, ce qui bien souvent permet de préciser à quel niveau se trouve l'obstacle que rencontre le message sonore pour parvenir jusqu'aux centres auditifs.

En cas de surdité profonde,

ces enregistrements ne décèlent aucune onde, et l'audiogramme ne retrouve pratiquement aucun reste auditif.

Jusque dans les années soixante-dix, on pensait qu'il s'agissait là d'une surdité hors de toute ressource thérapeutique, et force était alors, pour permettre au sujet de communiquer, de recourir à des moyens palliatifs dont nous reparlerons.

Pourtant on s'est aperçu qu'en stimulant l'oreille, non plus avec un son, mais avec un stimulus électrique délivré directement au contact de l'oreille interne, on pouvait déclencher ainsi une sensation sonore. Ce geste, relativement facile à réaliser puisqu'il suffit, à l'anesthésie locale, de décoller le tympan jusqu'à voir la fenêtre ronde pour y poser une électrode, a permis de montrer que plus de 90 % des cas de surdité totale étaient ainsi capables d'entendre des sons.

Dès lors il devenait possible de réhabiliter leur handicap. Il suffisait, au lieu de leur fournir une information sonore de nature mécanique, faite de variations de pression, de leur apporter la même information transformée au préalable en signaux électriques capables d'agir directement sur le nerf lui-même. C'est le principe de l'implant cochléaire. Il s'adresse à tous les cas de surdité totale - et ce sont les plus nombreux - qui sont liés à une destruction de l'organe de Corti contrastant avec la persistance d'un pourcentage de fibres de nerf auditives plus ou moins important, mais capables de véhiculer ces signaux électriques jusqu'au cerveau.

Le dépistage de la surdité chez le nouveau né

est maintenant rentré dans la pratique courante tant est bien comprise de tous aujourd'hui l'importance qu'aurait ce handicap dans le développement précoce du langage et de tous les phénomènes de la vie de relation. Des appareils de dépistage peu coûteux, tel un simple haut-parleur, permettent de mesurer la réaction d'éveil du nouveau né, qui tourne sa tête vers la source sonore. Ils sont de pratique quotidienne dans les maternités, mais ne décèlent que des déficits importants. Le dépistage des surdités légères à l'aide des oto-émissions est réservé pour l'instant aux enfants à haut risque, prématurés notamment. Quant aux potentiels évoqués du tronc cérébral, ils ne donnent d'informations que lorsque les fibres nerveuses auditives sont suffisamment myélinisées. Aussi leur étude n'est-elle guère réalisable avant l'âge de trois mois. Mais c'est pendant toute la première enfance que ce dépistage d'une surdité, même légère - et ce sont les plus fréquentes - doit être poursuivi. Chez le nourrisson et le jeune enfant, l'audiogramme classique, qui demande une coopération assidue du sujet examiné, n'est pas encore possible. On fait alors appel à des jeux de marionnettes qui conditionnent l'enfant à agir quand il entend un son et à en être récompensé. Cet examen, fort utilisé autrefois, l'est aujourd'hui un peu moins, en raison de l'efficacité et de la simplicité de la mesure de potentiels évoqués du tronc cérébral. L'impédancemétrie est un test simple et objectif; il mesure les réactions mécaniques de la chaîne ossiculaire à un son plus ou moins intense; certes, il ne décèle lui aussi que des surdités importantes, mais il est fort utile dans les surdités liées à des rhino-pharyngites à répétition, car il permet en plus d'affirmer la présence éventuelle de liquide dans l'oreille moyenne.

LES CAUSES DE LA SURDITÉ

Sans effroi, nous pouvons donc maintenant ouvrir notre catalogue. Celui-ci va suivre le courant des sons venus de l'extérieur jusqu'au conscient de notre cerveau. Mais la description de tous ces dangers devra tout de même nous inciter à la prudence. Car ce catalogue à la Prévert nous conduit à faire attention dans notre vie de tous les jours. Nous allons le constater et le redire : un nombre important de ces causes peuvent être évitées. Comme pour beaucoup de maladies, le traitement prophylactique de la surdité, quand il est facile, est toujours le plus efficace.

Nous rencontrerons d'abord les surdités de transmission, parmi lesquelles certaines peuvent se compliquer de surdités mixtes.

Puis nous aborderons ensuite, en pénétrant dans l'oreille interne, et en suivant le nerf jusqu'au cerveau, le catalogue plus diffus des maladies de l'oreille interne. Car celles-ci, déjà plus difficilement explorables, sont aussi plus difficilement identifiables, d'autant qu'elles se déguisent souvent avec les oripeaux d'autres atteintes, vertiges, paralysies faciales, etc...


Commençons donc par
les surdités de transmission:

Le bouchon de cire en la meilleure et la première des causes. C'est, je l'ai dit, le succès de l'ORL. Cependant sa fréquence et sa bénignité en font un dangereux ami, car il est parfois mis à tort par le patient au compte d'une surdité récente, surtout si ce dernier est habitué à sa survenue intermittente. L'hypothèse de ce bouchon risque de retarder la prise en charge de cette surdité, alors qu'il peut s'agir de tout autre chose constituant une véritable urgence. Nous reparlerons de ces surdités brusques à propos des surdités de perception. Mais c'est dire d'emblée qu'une surdité apparue depuis peu, même si elle n'atteint qu'une oreille et n'est pas gênante, ne doit pas être négligée. Il faut sans délai en connaître la cause et la traiter.

Quant aux autres obstacles (corps étrangers, insectes, etc...), ils entraînent les mêmes conséquences, à ceci près qu'une surinfection vient souvent les compliquer. Cette infection de la peau très sensible du conduit s'appelle une otite externe. Elle est beaucoup plus douloureuse qu'une otite moyenne ordinaire, mais est heureusement moins dangereuse pour l'audition. Les antibiotiques modernes, les corticoïdes, l'ont rendue très bénigne, alors qu'autrefois elle pouvait durer des semaines.
Je ne ferai qu'évoquer les malformations de l'oreille moyenne. Elles sont rares. Quand elles sont importantes, elles s'accompagnent toujours d'une surdité de transmission, car elles s'associent à une malformation du tympan et des osselets, et atteignent volontiers les deux oreilles et de manière asymétrique. Quant aux malformations du pavillon qui n'entraînent pas de surdité, je n'en parlerai pas, même si certaines sont particulièrement fréquentes, telles les bien classiques oreilles décollées.

Mais je voudrais dire un mot des traumatismes, dans la mesure où le tympan, qui forme le fond de l'oreille externe, peut en être atteint. La colonne d'air enfermée dans le conduit auditif peut en effet être propulsée brutalement contre le tympan par une gifle, ou par l'impact d'une vague, même si l'eau elle-même ne pénètre pas jusqu'au fond du conduit. Ce mouvement de piston est tel qu'il peut, non seulement déchirer le tympan, mais luxer, voire casser quelquefois les osselets, ou pis écraser les structures de l'oreille interne par le mouvement de piston de l'étrier dans sa fenêtre ovale. On observe alors une importante surdité mixte, accompagnée de saignement d'oreille et souvent de vertiges. C'est dire, messieurs les époux coléreux, qu'il ne faut jamais frapper une femme, ou si vraiment vous y tenez, donnez-lui plutôt la fessée qu'une gifle sur l'oreille. Ce conseil s'adresse d'ailleurs aussi aux mamans dont l'enfant paraît vraiment trop turbulent.

Les atteintes de l'oreille moyenne

vont rendre plus ou moins sourd en gênant la transmission des vibrations sonores de l'air qui nous entoure jusqu'aux liquides de l'oreille interne. Ce sont donc la plupart du temps des surdités de transmission simple. La transmission sonore peut être amortie et diminuée par plusieurs obstacles. Tout d'abord il peut s'agir d'un catarrhe tubaire, réalisant une différence de pression entre l'air ambiant et celui qui, rappelons-le, venu du nez par la trompe d'Eustache, remplit la caisse du tympan. Un rhume qui enflamme, gonfle et ferme l'orifice de cette trompe en est souvent responsable. Le tympan alors se déprime ; pratiquement il ne peut plus vibrer. C'est l'inverse qui se passe si on se mouche un peu trop fort ; la pression dans la caisse est alors beaucoup plus forte qu'à l'extérieur, mais on sait bien qu'il suffit d'avaler, ce qui ouvre la trompe d'Eustache, pour que bien vite l'air en excès s'échappe de la caisse. Quand on prend de l'altitude rapidement, en avion notamment, c'est un phénomène analogue qui se produit : la pression de l'air qui est enfermé dans la caisse, c'est celle qui existait à terre, dans la salle d'embarquement de l'aérodrome ; elle est bien supérieure à celle de l'intérieur de la cabine en plein vol ; en effet, bien que l'habitacle soit théoriquement pressurisé, cette pression ambiante est en pratique équivalente à celle que l'on peut avoir à 1500 ou 2000 mètres d'altitude. Quand on décollage on souffre de cet incident, c'est simple: il suffit alors d'avaler sa salive et bien vite là aussi, l'air enfermé sous pression dans la caisse s'échappe facilement.
Mais le problème n'est plus le même lorsque c'est à la descente que la mésaventure se produit. Car là, l'air emprisonné dans la caisse se trouve à une pression inférieure à celle de l'extérieur. Or cette hyperpression, présente notamment dans l'arrière-nez, a pour effet d'écraser les bourrelets de muqueuse qui entourent la sortie de la trompe d'Eustache, et d'en bloquer l'orifice. Il s'y associe bien sûr un enfoncement du tympan, qui non seulement rend sourd plus longtemps, mais qui surtout est très douloureux. Les mouvements de déglutition sont souvent insuffisants; il faut alors pincer son nez, gonfler ses joues, pousser très fort - c'est ce qu'on appelle la manoeuvre de Valsalva, du nom de l'ORL Italien qui autrefois a inventé ce geste thérapeutique - pour qu'enfin les choses restent dans l'ordre. Mais quelquefois cette dépression, si elle persiste, va faire sécréter la muqueuse de la caisse ; un épanchement liquidien s'installe et les choses se compliquent, car il va falloir l'évacuer chirurgicalement. Mais heureusement là encore, les possibilités thérapeutiques d'aujourd'hui vont vite faire tout rentrer dans l'ordre.

Dans d'autres cas, l'obstacle, réalisant une otite aiguë, est d'emblée du pus, ou une simple sérosité qui remplissent l'oreille moyenne. Mais là aussi, il va suffire d'évacuer ce liquide qui amortit les sons, souvent simplement par un traitement antibiotique, parfois en s'aidant d'une paracentèse. Ce geste consiste à fendre le tympan pour que le liquide s'évacue, en sachant que très vite cette simple coupure va se cicatriser spontanément sans laisser de trace.
Dans d'autres cas, cet obstacle est lié à la destruction partielle ou complète d'un des éléments de la chaîne tympano-ossiculaire. Les vibrations aériennes ne passent plus, et il ne reste plus au patient que sa seule audition osseuse, dont nous avons vu qu'elle représentait toujours une perte au moins égale à 30 dB sur l'ensemble des fréquences. Cette destruction peut être due à un accident ; nous avons vu la gifle de tout à l'heure; mais il peut s'agir d'un accident de voiture, voire même d'une chute bénigne telle un coup sur le crâne en dérapant en arrière dans un escalier. Dans d'autres cas, cette destruction est liée à une infection. Celle-ci, l'otite chronique, s'accompagne d'une perforation du tympan, d'un écoulement suppuré de l'oreille, parfois de douleurs. En plusieurs mois parfois, mais le plus souvent après plusieurs années, en rongeant ces éléments fragiles que sont les osselets, elle va finir par détruire ceux-ci.

Cette destruction d'ailleurs peut passer inaperçue lorsqu'elle s'accompagne en plus de la formation d'un abcès très particulier, le cholestéatome. Celui-ci est une sorte de sac rempli de pus. Cet air-bag d'un nouveau genre peut en effet prendre la place d'un osselet manquant et effectuer à sa place la transmission des sons. Mais cet abcès, dès qu'il est découvert, doit être supprimé, car il évolue sournoisement; il creuse, il use, il érode et finalement après quelques années il va presque toujours donner des complications graves, paralysie faciale, méningite, abcès du cerveau. C'est pourquoi il faut l'enlever. Mais ce geste, dans le cas très particulier évoqué à l'instant, va alors inéluctablement entraîner une surdité qui pouvait très bien ne guère exister avant l'intervention.
Cependant là encore il faut se rassurer, car les possibilités chirurgicales de reconstruction de la chaîne ossiculaire, même si assez souvent celle-ci nécessite plusieurs interventions séparées par quelques mois, va très habituellement permettre aux patients de retrouver une audition à peu près normale. Dans ce chapitre, il ne faut pas oublier la destruction isolée du tympan. Dans ces cas où l'oreille ne coule pratiquement jamais, et lorsqu'on est sûr qu'il n'y a pas de risque d'infection grave qui pourrait creuser en profondeur, on peut discuter de l'opportunité d'intervenir pour fermer ce tympan. La perte auditive en effet peut n'être que modérée, même avec une perforation importante, dans la mesure où le reste de la chaîne ossiculaire est intact. Cependant même lorsqu'elle n'assourdit pas beaucoup le patient, notamment parce qu'elle n'atteint qu'une oreille, l'inconvénient de cette perforation tympanique sèche, est que les bains de piscine ou la plongée sous marine ne peuvent se pratiquer sans risque de surinfections à répétition, qui à la longue vont aggraver cette surdité qui pouvait au début être discrète.
Enfin, un dernier obstacle est réalisé par le blocage de ce système tympano-ossiculaire. Des infections répétées peuvent entraîner la formation de ce qu'on appelle une tympanosclérose, sorte d'encroûtement des osselets ou du tympan sous forme de plaques et de sécrétions blanchâtres presque aussi dures que de l'os. La suppression de ces dépôts cicatriciels peut améliorer les choses. Mais assez souvent le processus se poursuit et la surdité peut réapparaître des années après l'opération. La création d'un os pathologique qui est à l'origine de l'otospongiose est un phénomène tout différent. Il s'agit d'une maladie génétique, qui atteint plus souvent la femme, et qui entraîne la sécrétion d'un os nouveau contre l'étrier qu'il bloque dans la fenêtre ovale. Cette affection est très fréquente. Mais plus de neuf fois sur dix elle répond très bien au traitement chirurgical.

Beaucoup de ces atteintes d'oreille moyenne sont aiguës : elles vont durer quelques jours à peine, si ce n'est même parfois quelques heures. Des médicaments très actifs parmi lesquels les antibiotiques et les dérivés de la cortisone notamment, des gestes chirurgicaux mineurs et maintenant bien codifiés, une attitude prophylactique bien conduite en viennent maintenant facilement à bout. Parmi ces dernières, j'évoque tout à trac les manœuvres préventives dont nous avons vu la nécessité quand on voyage en avion, aussi bien que l'ablation non seulement des végétations, mais aussi des amygdales chez un enfant tout le temps enrhumé qui fait des otites à répétition. Dans l'ensemble ces atteintes aiguës de l'oreille moyenne ne sont pas graves.

Par contre les atteinte chroniques, c'est-à-dire celles qui durent des mois, des années, vont être beaucoup plus handicapantes, et si elles sont bilatérales, elles vont alors entraîner une surdité chronique avec toutes les conséquences que nous allons voir un peu plus loin. Cependant, même lorsque cette atteinte chronique est unilatérale, elle n'en est pas moins dommageable, car elle est souvent négligée. Nous verrons en effet qu'une surdité unilatérale n'est pas très gênante. Mais la poursuite de l'infection risque d'entraîner une de ces complications sévères évoquées plus haut. Heureusement la meilleure prise en charge thérapeutique offerte par notre système de protection sociale rend ces complications aujourd'hui exceptionnelles, même chez les plus démunis. Ceci malheureusement n'est pas le cas, non seulement dans les pays en voie de développement bien sûr, mais même dans des pays comme les Etats-Unis dont la couverture sociale jusqu'à tout récemment était loin de s'adresser à l'ensemble de la population.

Les atteintes de l'oreille interne, du nerf et des centres auditifs

donnent des surdités de perception. On a vu l'extrême complexité et l'immense fragilité de tous les éléments nerveux, vasculaires, humoraux, qui concourent au fonctionnement de ces organes. La moindre perburbation va entraîner des désordres auditifs qui très vite peuvent rendre le message sonore incompréhensible. Or, aujourd'hui encore, nous avons beaucoup de mal à soigner efficacement ces troubles. Et pourtant, quantitativement parlant, ces désordres anatomiques paraissent mineurs au regard des énormes perturbations nécessaires pour entraîner une surdité de transmission, tel un épanchement liquidien, la fracture d'un osselet, ou un abcès détruisant plus ou moins les parois de l'oreille moyenne. Cependant, il est relativement facile de reconstruire un tympan ou de remplacer un osselet, et de plus l'urgence, à quelques heures, près n'existe guère pour ce type d'opération. A l'opposé, nous ne savons pas encore enlever sans dommages le caillot qui bouche une artériole courant le long de la cochlée, ou reconstruire la lame basilaire lorsqu'elle a été brisée par un traumatisme. Et même si un jour nous y parvenions, encore faudrait-il que ce geste soit réalisé dans la plus grande urgence, avant que ne se fanent les cellules ciliées de notre organe de Corti. Pour traiter un jour efficacement les surdités de perception, nous devrons donc apprendre à affiner nos gestes, c'est-à-dire peut-être à changer d'instruments. Un médicament bien ciblé sera sans doute plus facile à imaginer et à synthétiser, que construire un ultra-microscope coudé pour opérer dans les coins, ou une fibre optique insensée - à coulisse ou à pédale ! - nous permettant de remonter avec tous nos instruments jusqu'à la pointe du limaçon !

Avant de décrire les causes de ces surdités de perception, il faut rappeler que certaines d'entre elles entraînent simultanément des vertiges, des bourdonnements, parfois une paralysie faciale, voire l'atteinte d'un autre nerf crânien. Ces associations s'expliquent par la contiguïté de la plupart des structures impliquées dans ces manifestations qui témoignent de la souffrance de l'oreille interne.

Le bourdonnement

Je ne vais pas m'y étendre, mais je voudrais juste dire quelques mots sur le bourdonnement. Non pas le bourdonnement transitoire qui accompagne un épanchement liquidien dans l'oreille moyenne ou simplement une trompe d'Eustache bouchée quand on va en montagne. On reconnaît celui-la parce qu'il est généralement de tonalité grave, et surtout parce qu'il va vite disparaître grâce au traitement de l'affection responsable, sans avoir eu le temps d'inquiéter le patient.
Mais le bourdonnement qui persiste est beaucoup plus préoccupant. Il est plutôt de tonalité aiguë, mais peut avoir tous les aspects, et ceux-ci peuvent varier. Il peut être fait d'un son continu, ou de craquements intermittents, de cris de cigale, etc... Il peut être permanent ou survenir par période de quelques heures, quelques jours, quelques mois même, sans raison évidente. Il est d'intensité parfois minime - mais le médecin n'en est alors pas averti - ou plus ou moins intense, parfois énormément, et c'est l'intensité de ce bruit qui inquiète et motive la consultation.
Il n'y a que le patient qui l'entende. Ce bruit est purement subjectif. En auscultant l'oreille qui bourdonne avec les micros et les amplis les plus perfectionnés, on n'entend rien que les bruits normaux du cœur ou de la respiration, et ceux-ci sont sans relation avec le rythme du bourdonnement décrit par le malade. Tous les médecins admettent que ce bourdonnement est lié à une atteinte de l'oreille interne, si ce n'est des centres auditifs, car, associé à d'autres troubles, il se rencontre souvent dans beaucoup de maladies affectant ces organes. En outre, lorsqu'il paraît isolé, il est rare qu'il ne s'accompagne pas d'une légère surdité notamment sur les aiguës.
Le bourdonnement apparaît donc comme un signe de souffrance de l'oreille, et pour cela on l'appelle souvent acouphène. Pourtant, surtout à propos des bourdonnements légers, il pourrait sembler presque normal d'entendre frémir tous les rouages de cette petite merveille qu'est notre organe de Corti. Dans le silence presque absolu d'une chambre calme, il suffit d'écouter le bruissement immense qui emplit nos oreilles, puis notre tête entière ! en pratique pourtant, dès que le patient s'en plaint, ce trouble devient pathologique, et mérite qu'on tente d'y porter secours. D'autant qu'il est des cas où il peut être le signe initial d'une maladie connue, qu'on va pouvoir soigner. Un certain nombre d'examens vont donc être nécessaires pour éliminer cette éventualité. D'ailleurs ces tests multiples, ces scanners, ces IRM, cette attention soutenue à la plainte exprimée, ont aussi l'avantage de rassurer le patient, en lui confirmant à la fin de l'enquête que rien de grave n'est à l'origine de son trouble, même si on ne sait exactement à quoi celui-ci est effectivement dû.
Je voudrais tout de même souligner que lorsque j'ai commencé mes études d'ORL, il y a quelques décennies, on parlait très peu des bourdonnements, à croire que ceux-ci n'existaient guère. Aujourd'hui au contraire, il s'agit d'une plainte particulièrement courante, et nos patients bien sûr nous reprochent d'être "incapables de les soigner". Il me semble que cette fréquence nouvelle et cette carence thérapeutique dont on nous fait grief, sont directement liées au progrès médical de ces dernières années. D'abord parce qu'aujourd'hui, les gens meurent moins, que ce soit de cancer ou d'autre chose. Et en tous cas, ils meurent plus tard. Vivant plus vieux, ils sont davantage frappés que leurs parents par cette gêne. Mais en outre, ces parents d'autrefois étaient habitués à souffrir de leurs oreilles. Il était, à leur époque, presque normal d'avoir une oreille qui coule de temps en temps, ou qui souvent fasse mal. Aussi, au regard de ces misères, se plaindre d'un bourdonnement isolé eut été mal venu. Au contraire aujourd'hui où l'accès de tous aux soins les plus performants est devenu plus possible, la maladie ou une simple gêne, au nom du droit à la santé pour tous, sont souvent vécues comme une véritable injustice sociale. Pour nos malades actuels, tous les progrès accomplis dans le passé semblent tout à fait normaux. On ne considère plus que les maladies qui résistent encore à nos efforts, et on trouve inadmissible que la médecine ne sache pas encore en venir à bout.

Bien sûr, pour le bourdonnement aussi, je suis tranquille : les progrès ne vont pas tarder à venir. Cependant, malgré tous les travaux expérimentaux réalisés chez l'animal depuis plusieurs décennies sur ce problème, il faut bien reconnaître que l'on n'a pas beaucoup progressé dans la thérapeutique de ces acouphènes. Ceci est peut-être dû au fait que la recherche et l'expérimentation y sont difficiles. Il ne s'agit pas, comme on sait le faire, de mesurer la surdité d'un animal, ou ses troubles de l'équilibre, de la même manière que l'on on mesure sa pression artérielle ou la biochimie de ses fonctions hépatiques. Le but de ces recherches est de savoir si telle ou telle lésion entraîne un bourdonnement, puis si telle ou telle drogue va faire disparaître celui-ci. Mais comment objectiver ce trouble ? le cobaye, pas plus que le singe ou le rat, ne savent pas et ne peuvent pas se plaindre de bourdonnement. Et peut-être d'ailleurs n'en ont-ils jamais ressenti l'existence. Est-il nécessaire d'avoir conscience d'une maladie ou d'un handicap pour que celui-ci existe ?

En pratique de nos jours, dès lors que tous les examens nécessaires ont éliminé à coup sûr une infection en évolution et impliquant un traitement particulier, le bourdonnement doit être considéré comme la séquelle d'une affection passée de l'oreille interne, habituellement très discrète ou méconnue, qui bien souvent n'a pas laissé d'autre trace que ce qui peut être considéré comme une véritable cicatrice microscopique dont on ignore le siège exact.

Je compare volontiers celle-ci aux effets maléfiques d'une cicatrice au niveau du visage. Très souvent une cicatrice du front, de la joue, des lèvres, retentit beaucoup sur le psychisme de celui qui en est la victime. Surtout quand il se voit dans la glace. Si en plus ce jour-là son humeur n'est pas excellente, il lui paraît évident que tout le monde va s'en apercevoir; en réalité tout un chacun dans la rue qui le dévisage ne remarque que sa tristesse et son inquiétude. Dans d'autres cas au contraire, il est en pleine forme; il vaque normalement à ses occupations, ne pense plus du tout à sa cicatrice. Pourtant celle-ci est toujours aussi présente, mais du coup, à l'extérieur personne ne remarque plus rien en lui, parce que lui justement ne se soucie plus de rien. Le bourdonnement, c'est un peu la même chose. Il est des situations d'ordre essentiellement psychologique dans lesquelles l'acouphène prend énormément d'importance. Quand on est occupé dans la vie courante, on n'y fait guère attention. Mais le soir quand on se retrouve seul ou presque, ce bruit envahit tout notre conscient.
Le bourdonnement se voit plus volontiers chez les gens d'un certain âge. D'aucuns disent que cette prévalence est directement liée à l'atteinte que le déroulement des années a fait subir bien normalement à l'oreille interne. Je pense qu'en réalité l'intensité dévastatrice des acouphènes est due à l'inactivité des gens qui en sont porteurs. Le fait de ne pas travailler est, dans ce domaine, fort dommageable : on a le temps de penser à son bourdonnement, comme à bien d'autres petites misères. Peut-être ce trouble subjectif est-il beaucoup plus fréquent aujourd'hui, parce que de nos jours il est de mode de prendre sa retraite beaucoup plus tôt, voire même en ces temps de chômage de la prendre de manière anticipée.

Mais mon propos n'est pas aujourd'hui de parler du bourdonnement, ni de ce que l'on peut faire pour le soulager. Je ne m'étendrai plus à son sujet, et nous allons reprendre notre catalogue des causes de la surdité, laissé ouvert à la page concernant celles qui atteignent l'oreille interne.

Tout d'abord, beaucoup de toxiques peuvent agir comme de véritables poisons pour l'oreille interne. Leur mode d'action est variable. Le plus souvent ils s'attaquent directement à l'organe de Corti ou au métabolisme des liquides qui nourrissent celui-ci. Mais dans d'autres cas, ils agissent au niveau des centres cérébraux, qu'ils détruisent plus ou moins, ou qu'ils perturbent insidieusement au point de leur faire envoyer par exemple des messages aberrants supprimant l'action protectrice des fibres efférentes. Le plus troublant est que la plupart du temps, il s'agit de médicaments. Nous avons là l'exemple d'une surdité iatrogène, c'est à dire directement liée à l'action thérapeutique du médecin. C'est le cas de la quinine, qui sert à nous protéger du paludisme. C'est aussi le cas de beaucoup d'antibiotiques, notamment parmi les plus actifs. S'il est vrai que grâce à eux bien des morts peuvent être évitées, par méningite notamment, c'est également aussi grâce à eux que l'on rencontre de plus en plus souvent de ces surdités totales, qui autrefois ne se voyaient guère, parce que malheureusement le patient était mort de l'infection responsable que l'on sait maintenant guérir. Puis, dernier exemple de médicament cochléo-toxique, mais il faut vraiment en prendre beaucoup pour qu'il le soit réellement, il s'agit de l'aspirine : c'est une notion classique, et c'est pour cela que je cite cette drogue. Mais je m'y étendrai peu, car sauf chez certains sujets, il faut toujours dépasser des doses supérieures à trois grammes par jour. Or je ne voudrais pas porter un discrédit sur ce médicament, que j'estime pour ma part, lorsqu'il est bien supporté, être le meilleur du monde.

Les surdités brusques sont très fréquentes. En quelques secondes ou en quelques heures s'installe une surdité le plus souvent unilatérale, mais très volontiers sévère, si ce n'est totale d'emblée, avec ou sans vertiges ou bourdonnements. On pense que leur origine est soit virale, soit vasculaire, pas spasme ou obstruction d'une artériole de l'oreille interne. Mais on a rarement la certitude du diagnostic, et c'est un peu empiriquement qu'on les traite par les dérivés de la cortisone, les médications vaso-dilatatrices et l'hyperoxygénation. Plus le traitement est précoce, à quelques heures près, meilleures seront les chances de récupération. Cependant, même dans les cas les plus favorables, celle-ci est rarement complète. On conçoit l'urgence de ces traitements, et le risque qu'il y aurait à croire qu'il ne s'agit que d'un bouchon de cérumen, et à retarder l'examen qui permettra de faire le diagnostic et d'entamer aussitôt le traitement.
Parfois cette surdité fluctue. Elle ressemble à celle observée dans la maladie de Menière - affection caractérisée surtout par ses accès vertigineux, sur laquelle je n'insisterai pas - dont elle serait un équivalent mineur. On estime alors qu'elle serait en rapport avec des troubles pressionnels des liquides cochléaires. Certains médicaments, agissant directement sur cette pression, permettent de faire remonter ces courbes de manière substantielle.

Les infections de l'oreille interne vont donner des surdités presque toujours très sévères. Il s'agit rarement d'infections suppurées évidentes et sévères, liées à des microbes facilement identifiables, habituellement migrés d'une otite chronique ancienne avec cholestéatome, ou d'une méningite voisine. La plupart du temps, il s'agit d'une infection virale beaucoup plus subtile mais aussi dangereuse pour l'audition; les oreillons en sont le meilleur exemple. Ces surdités virales sont souvent très importantes. Elles trouvent toutes leur gravité lorsqu'elles sont bilatérales, car elles peuvent entraîner une surdité totale.
Les malformations de l'oreille interne sont généralement associées à des anomalies évidentes du pavillon et de l'oreille moyenne. Elles en compliquent bien sûr le pronostic, puisqu'il existe une atteinte de perception surajoutée. Mais la plus spectaculaire de ces malformations est celle qui est secondaire à une rubéole survenant au début de la grossesse. En effet, nous l'avons vu, c'est pendant les premières semaines de la grossesse que se développent les structures de l'oreille interne, et c'est à ce moment-là que le virus de cette maladie par ailleurs bénigne peut stopper ce développement, sans que pour autant les autres organes, osselets, conduits, pavillons, etc... soient troublés dans leur croissance. Cette infection foeto-maternelle laissera naître des enfants dont les deux oreilles internes sont vides. Ils sont totalement sourds, alors qu'à l'examen ou radiologiquement les éléments visibles de l'oreille semblent normaux. Heureusement, cette affection est de plus en plus rare grâce à la vaccination systématique des jeunes filles contre la rubéole.

Mais à côté de ces malformations liées à une agression survenue pendant la grossesse, il en existe beaucoup d'autres d'origine génétique, que l'on commence seulement à cataloguer Certains sujets, qui pourtant entendent bien, possèdent dans leur patrimoine chromosomique des éléments interdisant à l'oreille interne un développement normal. On en débute à peine le recensement et la cartographie génétique. Mais on comprend qu'en épousant un membre de sa famille on augmente le risque de voir apparaître ces malformations dans sa progéniture. La surdité par consanguinité est encore très fréquente dans les pays où il est habituel, quels qu'en soient les motifs, de marier ensemble les cousins les plus rapprochés.

La fragilité de l'oreille interne la rend extrêmement sensible au traumatisme. Celui-ci est une cause de surdité de plus en plus fréquente dans notre civilisation, qui va de plus en plus vite et fait de plus en plus de bruit. On comprend qu'une fracture du rocher, dont le trait traverse le tube cochléaire, puisse entraîner une destruction définitive de la fonction auditive. Mais, comme à propos des surdités de transmission, un traumatisme minime peut être néanmoins fort dévastateur, entraînant une surdité totale - souvent aggravés de vertiges heureusement transitoires - par arrachement de la membrane basilaire, ou de la fine membrane de la fenêtre ronde. Par ailleurs, autre exemple de surdité iatrogène, le geste chirurgical le plus prudent soit-il, opérant dans l'oreille moyenne mais près des structures de l'oreille interne, peut avoir une action fort nocive. C'est ainsi que toute la chirurgie de l'étrier, pratiquée couramment dans l'otospongiose ou dans la reconstruction de la chaîne des osselets, doit être particulièrement minutieuse, car elle se déroule directement au contact des liquides de l'oreille interne.

Le traumatisme sonore

Mais le traumatisme le plus fréquent, et donc socialement le plus handicapant, est le traumatisme sonore.

Il peut s'agir de l'explosion brutale d'un pétard ou de coups de canon,

ou bien de l'agression répétée et continue que subissent les chasseurs, certains professionnels (les chaudronniers, les riveteurs etc)...
Cette
surdité des chaudronniers est depuis longtemps reconnue comme une maladie professionnelle, et il existe une législation destinée à rendre chez eux le port du casque protecteur obligatoire. Cependant beaucoup de ces travailleurs du bruit, mal informés peut-être des risques encourus, négligede se protéger.

Mais il peut s'agir également du traumatisme lié à une écoute musicale trop intense, telle qu'on peut maintenant la réaliser avec les amplis surpuissants, ou les baffles énormes qui existent dans les boîtes de nuit. Dans ce domaine, le plus sournois a été longtemps le walkman. Avant lui, quand autrefois un enfant mettait trop fort sa chaîne stéréo, les protestations de ses parents et de ses voisins le protégeaient en l'obligeant à baisser sa sono. Mais grâce aux mini-écouteurs du walkman, les intensités les plus fortes ont pu déferler, sans que personne s'en aperçoive autour de son utilisateur, jusqu'à ce que l'intensité de sortie soit limitée - du moins en France - de manière réglementaire. Mais les musiques "disco" ou autres sont de nos jours terriblement agressives. On observe en pratique une altération non négligeable de l'audition chez les ados. Elle est statistiquement significative chez les sujets jeunes. Les médecins militaires ont pu montrer récemment que les jeunes recrues présentaient, beaucoup plus qu'autrefois, au moment de leur incorporation une surdité de perception caractéristique du traumatisme sonore.

Il est bien dommage qu'on n'ait pas encore réussi à obtenir la réglementation de l'intensité sonore émise dans ces lieux, au sein desquels les adeptes d'une sonorisation exagérée de la musique contemporaine sont en train de forger des générations de sourds pour les décennies à venir.

D'autant que le traumatisme sonore entraîne des lésions qui, au début et pendant assez longtemps, sont transitoires. Si le traumatisme n'est plus répété, et ceci définitivement, tout peut rentrer dans l'ordre, même l'acouphène qui très souvent au début est isolé et sans perte auditive évidente.
Mais si l'exposition au bruit persiste, au bout d'un certain temps s'installent des lésions définitives, qui siègent au maximum au niveau de la fréquence 4000 hertz, zone qui sur le clavier cochléaire correspond au voisinage de la base du limaçon. Nous en reverrons tout à l'heure les raisons. Ces lésions ne vont que s'aggraver avec le temps, notamment quand viendront se surajouter celles de la presbyacousie.

Les cellules ciliées d'un organe de Corti normal...
...et après traumatisme sonore

La presbyacousie

La presbyacousie est en effet la cause de surdité qui nous guette tous, et heureusement, car c'est celle qui est liée à l'âge. Plus nous vivons vieux, et plus nous risquons d'en être les victimes. Il faut donc s'en réjouir, même si malheureusement comme en toute chose, certains individus en sont frappés beaucoup plus tôt que d'autres.

Cette presbyacousie, c'est un peu comme avoir des cheveux blancs ou perdre ses cheveux. C'est une sorte de calvitie de l'oreille interne, dont les cellules ciliées se déplument, se dégarnissent ou disparaissent.

Mais cette presbyacousie s'accompagne également d'une diminution du nombre des neurones, aussi bien du nerf auditif que des formations cérébrales. Elle n'est qu'un des éléments du lent processus de vieillissement, qui nous fait perdre nos cellules grises, notre teint frais et notre vivacité, et nous les échange contre les raideurs du cristallin ou des articulations, une certaine lenteur qu'on déguise en sagesse, puis un désintérêt progressif que l'on nomme sérénité. Mais dans ce tableau un peu désabusé, la presbyacousie est souvent l'élément le plus précoce. C'est le voltigeur avancé de la vieillesse. Sa venue va nous permettre de ne pas laisser les ans nous prendre par surprise. Elle va nous inciter à nous défendre précocement contre l'avancement de la sénilité. Nous verrons comment nous défendre contre ce genre d'atteinte auditive.

le neurinome de l'acoustique

Les autres éléments du système nerveux central peuvent être atteints et à eux seuls entraîner une surdité de perception. C'est très évident en cas de neurinome du nerf acoustique, qui est une tumeur bénigne, car elle ne donne pas de localisation secondaire et ne récidive pas si on a pu l'enlever complètement. Mais en se développant elle comprime peu à peu le tronc cérébral et comporte alors des risques mortels. C'est pourquoi depuis trente ans, on a appris à la déceler précocement, et surtout à l'enlever chirurgicalement sans autre dommage malheureusement qu'une surdité la plupart du temps totale et définitive du côté opéré. Heureusement les formes de neurinome bilatéral sont exceptionnelles, mais on pressent le drame que cela représente, encore que, nous le verrons, là aussi depuis très peu de temps, se dessine la possibilité de redonner un peu d'audition à ces patients défavorisés.

Les surdités centrales

Quant aux surdités dont l'origine est à l'intérieur du cerveau lui-même, elles s'associent généralement à beaucoup d'autres troubles neurologiques dont la sévérité place au second plan le désagrément d'une perte auditive qui n'est jamais complète, et qui est d'ailleurs bien plus fait d'une compréhension difficile ou mal analysée que d'une diminution de la sensibilité sonore.

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