entendre, qu'est-ce que c'est ...?

Entendre, qu'est-ce que c'est ? Bien sûr, c'est un miracle de complexité et d'infinitésimal, comme tous les mécanismes de la vie.

Mais c'est aussi très simple : il suffit d'expliquer

Entendre n'est possible, n'est envisageable que s'il existe un message à percevoir, parole, chant, musique ou bruits, c'est à dire un son. Un son, c'est un ébranlement, une vibration du milieu ambiant. Pour nous, le plus souvent, celui-ci est l'air atmosphérique dans lequel nous vivons. Mais pour les poissons il s'agit de l'eau ; nous-mêmes, en plongée sous-marine avec masque et palmes, nous pouvons entendre le hors-bord qui passe très loin au-dessus de nous, ou le heurt du trident sur les rochers. Pour le Sioux enfin, dont l'oreille collée au sol entend venir de loin la cavalcade ennemie, ou pour un diapason qui nous chante dans la tête quand on le pose sur notre crâne, le son peut être aussi la vibration d'un solide.

Entendre, c'est donc palper la vie, c'est à dire sentir les vibrations de l'espace. Un espace immobile est un espace dont le temps est absent, presque mort, insonore. Car ces mouvements de l'espace que notre oreille perçoit, ces vibrations, c'est à dire ces variations de pression de l'air ou de l'eau qui nous entourent, auront besoin du temps pour nous être sensibles. Mais en outre l'homme est un être d'eau. En nous tout n'est que viscosités et liquides, même si l'air nous est indispensable pour vivre. La sensation sonore va naître en nous d'une intention mouillée émue par les mouvements de l'air.
Mais l'air est léger, élastique. L'eau est plus dense, beaucoup moins compressible. Pour faire vibrer l'air il faut peu d'énergie, mais ses ondes s'estompent rapidement. Écoutez: à quelques mètres, sauf à hurler, la voix n'est plus audible. Mais s'il faut tout une cavalcade pour à peine ébranler très légèrement la terre, c'est en revanche à des kilomètres que l'oreille collée au sol percevra le galop lointain des chevaux. Pour attirer l'attention de nos liquides sensibles les vibrations de l'air, qui forment l'énorme majorité de nos sensations sonores, devront être démultipliées, amplifiées pour remuer cet aquarium de notre oreille interne, où baignent les fibres nerveuses, qui vont ensuite chanter dans notre cerveau.
C'est là le rôle de l'oreille. Elle est l'intermédiaire obligé entre l'extérieur et notre conscience. Elle effectue la traduction simultanée des bruits du dehors, c'est à dire des mouvements de l'espace, en un langage perceptible pour nos sens. Ce traducteur, c'est l'organe de Corti. Il est bien installé dans sa cabine en forme de coquillage, le limaçon. Inlassablement il traduit les messages sonores en influx nerveux pour l'auditoire des neurones assemblés dans l'amphithéâtre liquide de notre oreille interne, chacun bien à sa place pour former le nerf auditif.
Mais ces messages de l'extérieur sont au préalable filtrés, amplifiés avant de parvenir à notre interprète. La tâche de celui-ci est facilitée. Il reçoit à traduire un message facile à comprendre. Cette préparation est effectuée en grande partie par l'oreille externe et l'oreille moyenne.

Voyons d'abord de quoi sont faits les bruits, les sons, c'est à dire ce qui permet de les différencier, de les reconnaître.


la nature des sons


Ce mouvement de l'espace qui constitue une vibration sonore est défini par son
amplitude, c'est à dire son intensité. Il se répète plusieurs fois par seconde, et ce rythme est ce qu'on appelle sa fréquence. Cette vibration dure enfin plus ou moins longtemps: c'est sa durée.

des informations plus précises se trouve dans le livre :

http://recorlsa.online.fr/oreillemusicienne/index.html

 

L'INTENSITE

Un son c'est donc tout d'abord une force qui remue le milieu ambiant. C'est cette force qui donne la sensation d'intensité sonore. Elle s'objective en mesurant l'amplitude de la vibration. Mais les vibrations infinitésimales ne sont pas perceptibles. Aussi en pratique cette mesure s'effectue-t-elle par comparaison avec l'amplitude la plus petite qu'une oreille normale puisse percevoir. Cette mesure relative se fait avec une unité qu'on appelle le décibel, que souvent on écrit et prononce db. Ce terme est un hommage à Graham BELL, physicien américain de la fin du XIX° siècle, auquel je suis sensible, car celui-ci enseignait la langue des signes aux sourds-muets, et c'est en cherchant à améliorer ce mode imparfait de communication que ses travaux concoururent à l'invention du téléphone. Le db est une unité logarithmique, car Mr FECHNER, philosophe allemand du XIX° également, parait-il un peu rêveur, mais psycho-physicien remarquable, a constaté et nous a appris que la sensation croissait comme le logarithme de l'excitation. Cela signifie que, si vous tapez de plus en plus fort, la différence de sensation par rapport au coup précédent sera de moins en moins intense.

Par définition l'intensité la plus faible qui soit perceptible par une oreille saine correspond à 0 db. Habituellement une intensité dépassant 100 db est vite insupportable, et risque d'entraîner des lésions de l'oreille interne que nous reverrons. Mais par ailleurs la fatigue auditive peut survenir lorsque l'oreille est soumise à un son permanent, même peu intense. Elle n'est pas forcément désagréable, Elle est transitoire. Elle est responsable d'une baisse de la sensation d'intensité, sorte d'habituation qui atteint son maximum après une minute d'exposition. Ce phénomène est encore plus net si se surajoute un son intermittent. On l'observe quand on voyage en avion: après quelques instants, et surtout si on parle à son voisin, on n'entend plus le bruit des moteurs.
Il est plus ou moins facile d'étouffer ces vibrations. On dit souvent "assourdir" ces bruits. Cette impropriété à elle seule mériterait commentaires ! Quoi qu'il en soit, cet assourdissement dépend directement de l'énergie que ces vibrations transportent. Elle est du même ordre que celle qui a été nécessaire à leur émission. Ainsi sera-t-il plus aisé de se protéger des vibrations aériennes d'une contrebasse, que des vibrations solides des murs de votre chambre. Pourtant ces vibrations sont de même fréquence. Mais les unes ont été engendrées par des cordes diaphanes, et les autres par le métro roulant sous votre immeuble. Pour insonoriser une maison il faut, ou bien des parois très épaisses, ou bien des cloisons doublées de substance mousse dont la micro élasticité absorbe l'énergie sonore.
Percevoir une très faible différence d'intensité dépend beaucoup de la nature du son. Pour un son pur, et à des intensités très faibles, ce seuil différentiel est proche de 2 db; il va augmenter avec l'intensité du son, mais de manière variable avec la fréquence. Cette discrimination des variations d'intensité à la fois faibles et rapides est utile à la compréhension de la parole.

LA FREQUENCE

La vibration de l'espace que constitue un son peut se répéter plus moins rapidement, et ce rythme définit la fréquence d'un son. Son unité de mesure, c'est le hertz. Il s'agit là aussi d'un hommage rendu à un physicien de la fin du XIXème siècle, Heinrich HERTZ, allemand également. Ce chercheur découvrit les ondes magnétiques qui portent son patronyme. Cette unité, prononcée hertz, mais écrite souvent "Hz", définit une vibration par seconde. Quand elle se compte par milliers, on parle de kilohertz (Khz). On distingue ainsi les sons graves, de fréquence faible, et les sons aigus, de fréquence élevée. Mais, au-delà de 16000 Hertz, c'est-à-dire de 16000 vibrations par seconde, nous ne percevons plus rien : les sons s'appellent alors des ultrasons, auxquels seuls sont encore sensibles les chiens et surtout certains animaux qui tels la chauve-souris, pour se déplacer font appel au phénomène de l'écholocation. Il s'agit, tel un véritable radar à ultrasons, de l'émission par l'animal de vibrations sonores dont l'écho sur les obstacles est reçu, analysé et utilisé pour deviner sans les voir l'existence et la distance de ceux-ci.

La fréquence des sons graves, au-dessous d'une centaine de hertz, est perçue comme un battement, et quand celui-ci anime un solide entre zéro et trois cents hertz environ, ces sons peuvent être perçus de manière tactile par les terminaisons sensibles de la peau. C'est pour cela que souvent les sourds totaux - ceux dont l'oreille interne est complètement détruite - croient avoir quelques restes auditifs sur les fréquences graves: il ne s'agit là que des sensations tactiles, plus ou moins augmentées ou générées au niveau de la peau de l'oreille par les prothèses surpuissantes auxquelles parfois ils font appel. C'est à partir de cette perception qu'on a essayé autrefois, avec des vibreurs portés au poignet ou sur la poitrine, de réhabiliter ces surdités totales en transformant l'information sonore en sensations cutanées.
La capacité de l'oreille à distinguer l'une de l'autre deux sonorités dont la fréquence est très proche dépend de la hauteur de celles-ci. Ce pouvoir discriminateur est très fort pour les fréquences moyennes, celles utilisées notamment dans la parole, mais il s'affaiblit à propos des basses et surtout des hautes fréquences.

sur le clavier d'un piano, les aiguës sont à droite et les graves à gauche

Cette vibration, en se répétant, anime le milieu ambiant de mouvements analogues à ceux d'une corde dont on agite l'extrémité. La forme de ces ondes conditionne la sensation sonore. Elle définit la qualité du son. Si les ondes sont régulières et symétriques, - on les appelle sinusoïdales -, elles fournissent un son pur. Si les ondes sont bien régulières mais asymétriques, on a un son complexe, bien plus couramment répandu dans notre environnement, que celui-ci soit linguistique ou musical. En réalité, la réalisation d'un son pur comporte presque toujours la création d'harmoniques, c'est-à-dire de sons dont la fréquence est le double, ou le triple, ou le quadruple, etc. ... du son pur en question, que l'on appelle alors "son fondamental". Ces parasites, appelés harmoniques, sont à la vérité très précieux. Ils constituent, par leur agencement varié fonction de leur nombre et de leur intensité relative, le timbre d'un son, souvent qualifié en terme de richesse ou de pauvreté, de chaleur, de coloration, de sensualité etc. ...
On s'est aperçu que n'importe quel son complexe pouvait toujours être considéré comme la somme d'un certain nombre de sons purs, de fréquence et d'intensité différentes, dont l'ensemble définit ce qu'on appelle sa composante spectrale. A l'inverse la réalisation simultanée de tous ces sons purs élémentaires permet d'obtenir la reconstitution du son complexe en question. Par ailleurs, n'importe quelle musique ou parole, ou n'importe quel bruit, peuvent toujours par l'analyse la plus fine être décomposés en autant d'éléments qu'il est nécessaire, pour que chacun d'entre eux puisse pendant cette brève période de temps être considéré comme un son complexe, lui-même décomposable en sons purs élémentaires. Tout ceci est à la base des procédés informatisés permettant la reconnaissance de la parole ou la réalisation de messages artificiels, tels ceux qui dans certaines voitures nous avertissent que la porte avant droite est mal fermée.
Ainsi, comme les lettres d'un alphabet qui permettent de décrire et de dire des mots ou des phrases, ces sons purs permettent par leur intensité, leur durée, leurs variations dans le temps, de définir les sonorités les plus complexes. On imagine aisément la richesse et la variété des éléments qui composent la parole ou la musique. Mais pour analyser, décrire, définir ces deux modes de communication si particulier à l'homme, on a créé une étape intermédiaire entre cet alphabet fréquentiel et le message lui-même chargé de sens, comme une sorte de dictionnaire différent et propre à chacun de ces deux formes de langage.
Considérons d'abord la musique. Son dictionnaire est constitué essentiellement par la définition des notes. Celles-ci se reconnaissent à partir de la fréquence de leur son fondamental qui permet de leur donner un nom, de leur durée également, mais beaucoup moins à l'aide de leur succession ou de leur simultanéité, de leur intensité, et encore moins de leur timbre.
La fréquence d'une note, et de ses harmoniques, permet de définir les écarts de hauteur séparant deux notes différentes, en mesurant le rapport des fréquences des sons purs qui forment ces deux notes. Ainsi s'agit-il d'un octave si la fréquence de l'une est le double de celle de l'autre, d'une tierce si le rapport de fréquences entre les deux notes est de 1/3, d'une quarte ou d'une quinte si ce rapport est d'1/4 ou d'1/5. A partir de là on en vient à distinguer les tons et les demi tons, et en définissant une fréquence de références pour une note privilégiée, 440 hertz pour le La3 par exemple, on en vient à nommer les notes, Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si, Do, en distinguant plusieurs octaves allant du plus grave Do-1 etc. ... au plus aigu Do-7 etc. ... pour un piano par exemple.
Quand deux notes à l'octave sonnent ensemble, le son fondamental de la plus haute a la même fréquence que le premier harmonique de la plus basse. D'une manière générale la moitié des harmoniques de la plus grave seront les mêmes que ceux de la plus haute. C'est pour cela que l'on estime très semblable deux notes à l'octave, et l'on confond plus facilement Mi-3 avec Mi-4, que Mi-3 avec Sol-3 pourtant fréquentiellement beaucoup plus proche. Mais l'oreille musicienne est capable d'entendre, et de distinguer tous les harmoniques, et cette grande sensibilité lui permet d'éviter cette confusion.
Nous reparlerons un peu plus loin de la durée d'une note qui s'exprime en croche double croche etc. ... Mais la plus brève des notes identifiable par le musicien le plus exercé, un dixième de seconde environ, est encore fort longue au regard de celle de certains éléments de la parole, les consonnes notamment. Quant à l'intensité, sa détermination en musique est floue, pianissimo, mezzzo forte etc.... Mais cette imprécision est destinée sans doute à laisser plus d'espace au génie personnel de l'interprète. Le timbre enfin, si essentiel pour reconnaître et qualifier un instrument, est un caractère qui a été longtemps très mal étudié en musique, car sa détermination physique demande des appareillages complexes, et même aujourd'hui le timbre reste surtout du domaine des professionnels de la muisique, notamment numérique. Nous reverrons plus loin l'intérêt de ces éléments pour apprécier les méfaits de la surdité chez les professionnels de la musique.

Analysons maintenant la parole. Elle est sans doute - et bien plus que le chant - le message sonore le plus compliqué, ne serait-ce qu'en raison de ses très grandes, mais surtout très rapides variations. Pour continuer notre comparaison, le dictionnaire intermédiaire de la parole est la syllabe, ou phonème. Celle-ci finalement peut se décomposer en consonnes et voyelles, si l'on met dans ce groupe les sons "OU, EN ON, UN", etc. ... au même rang que "A, E, I, O, U". La voyelle "O", par exemple est un son complexe, qui peut être résumé en deux sons purs intenses, dont les fréquences respectives varient d'un sujet à l'autre, mais restent voisines de 450 et 800 hz. Ces deux sons caractéristiques s'appellent des formants. La voyelle "I" est constituée d'un formant de 350 hz et d'un autre de 2800 hz. Le son "AIN" possède des formants situés autour de 600 et de 2000 Hz etc ...

en vert: les formants de la voyelle "A"; en gris: les ulstrasons

A l'opposé, les sons complexes de beaucoup de consonnes sont constitués par des ébranlements sonores qui réalisent des variations de fréquences et d'intensité bien plus rapides que la plupart des subtilités de la musique. En outre l'énergie contenue dans les consonnes est bien plus faible que celle des voyelles. Dans un bruit de fond les consonnes vont donc bien moins émerger. Elles seront de ce fait, nous reverrons pourquoi, bien moins reconnues et distinguées par un sourd. Et puis, pour chacun des êtres que nous connaissons, il s'ajoute dans la parole d'autres sons très particulier, harmoniques très élevés d'intensité plus faible, qui nous permettent de reconnaître les différents timbres de la voix propre à chaque individu.
Ne nous affolons pas de cette complexité. L'ouïe est le moyen le plus subtil que nous ayons pour explorer les mouvements de l'espace, dont nous venons de voir les mille facettes.

Cependant l'intelligibilité de la parole, malgré ces prouesses qu'elle exige de nos sens, ne fait pas appel à la totalité de nos possibilités de perception sonore. Elle n'utilise guère que les fréquences dites conversationnelles, comprises entre environ 100 et 4.000 hertz. Ce choix linguistique est une obligation. Il est dû aux capacités acoustiques du conduit de l'oreille, du tympan et des osselets, dont nous décrirons un peu plus loin la forme. En effet, comme une trompe ou un trombone ou la plupart des instruments de musique, l'ensemble des oreilles moyenne et externe va entrer en résonnance et amplifier certains sons, en trouvant l'énergie nécessaire à cela en étouffant d'autres fréquences, notamment les ultrasons. Ainsi la forme de notre oreille, parce qu'elle est responsable de notre grande sensibilité à ces fréquences particulières, conditionne-t-elle le son de notre voix. L'homme s'est habitué à parler dans la zone où il entendait le mieux : à cause de la forme de ses oreilles, il parle dans cette zone privilégiée entre 100 et 4.000 hertz.
C'est par un souci d'économie supplémentaire que le téléphone nous transmet encore moins que cette bande de fréquence déjà assez limitée. Les ingénieurs des PTT d'autrefois, puis des Télécom d'aujourd'hui l'ont encore rétrécie à la zone comprise entre 300 et 3000 hertz, en tablant sur la redondance qui existe dans les informations contenue par les sonorités de la parole. Grâce à l'aide inconsciente que nous donne le sens général d'une conversation, la transmission du message se fait sans problème, bien que celui-ci soit tronqué. Mais pour les langues étrangères que l'on connaît mal c'est déjà moins aisé. Et c'est encore plus dur pour un mot ou une syllabe isolée de son contexte. Cette carence d'information nous oblige alors, pour éviter certaines erreurs orthographiques ou sémantique, à épeler ces mots en précisant "F" comme Françoise, "S" comme Suzanne. Car la distinction fine des sifflantes qui fait la différence entre F et S impliquerait la perception de fréquences atteignant 4 à 5.000 hertz que ne nous fournissent pas les Télécom. Nous verrons aussi que beaucoup de surdités voient leur atteinte prédominer sur la perception des fréquences aiguës, ce qui entraîne ce genre de confusion dans les consonnes, source des pataquès les plus désorientants.
C'est encore du fait de cette redondance de la parole, que d'autres procédés, les vocoders , au lieu de transmettre, comme le fait le téléphone, toute la gamme des fréquences contenues au sein de cette zone rétrécie à 300-3000 hertz, n'emploient plus que quinze canaux, c'est-à-dire quinze bandes de fréquences différentes. C'est un peu comme si, pour jouer la symphonie du langage, il suffisait d'un orgue à quinze notes ! Il est vrai que ces 15 canaux couvrent une bande un peu plus large que celle du téléphone classique. C'est peut-être pour cela que cela marche. Nous verrons que le mérite en revient au cerveau.

A l'inverse, la musique, dont la plupart des sonorités évoluent moins vite dans le temps que celles de la parole, utilise au contraire toute notre sensibilité acoustique. Les multiples harmoniques du son complexe d'un violon ou d'une flûte contribuent pour chacun d'entre eux, même les plus aigus et ceux dont l'intensité est la plus discrète, à la finesse de son timbre et à sa valeur esthétique et hédonique. Cette différence physique explique peut-être l'effet magique de la musique. Elle rend compte en tout cas des exigences de la reproduction musicale. La membrane d'un haut-parleur suit fidèlement les variations les plus rapides du champ électromagnétique auquel elle est soumise. Mais la fidélité d'un haut-parleur va dépendre de ses possibilités de résonance: il faut de grandes baffles et une grande énergie amplificatrice pour les sons graves, et des structures différentes pour les sons médiums ou aigus; plusieurs membranes seront presque toujours nécessaires, chacune étant dévolue à une bande de fréquence particulière. On comprend pourquoi la reproduction fidèle de la musique implique des enceintes volumineuses et complexes, alors qu'un petit haut-parleur médiocre suffit à bien transmettre la voix.

LA DUREE

Contrairement aux autres arts, peinture, littérature, etc., l'art du verbe, le théâtre, la musique, les bruits sont des modes de communication avec autrui qui usent de la durée. C'est une communion qui se déroulent dans le temps, aussi bien le temps long d'une sonate ou d'une messe, d'une conférence ou d'un aveu amoureux que le temps détaillé - les musiciens parlent d'agogique - qui rythme l'intérieur d'une phrase, ou enfin le temps infinitésimal séparant ces vibrations mécaniques du milieu ambiant qui forment les sons, que ceux-ci soient musicaux ou verbaux.
Je n'insisterai pas sur le temps long d'un discours ou d'une symphonie. Il est essentiel pour définir celle-ci. C'est en minutes qu'il pourrait se compter, des trois minutes d'un aria aux longs moments d'une homélie, d'une conférence ou d'une messe, pendant lesquelles le sujet ou la musique seront d'une qualité, d'une couleur identique. Rappelons pourtant que presque toujours après vingt minutes - pourquoi ce nombre ? on ne le sait - l'attention faiblit, s'estompe. Elle doit être réveillée. Les enseignants le savent; les politiques commencent à le comprendre, et n'emploient plus ces discours fleuves de plusieurs heures, que seule une dictature pouvait imposer en la croyant plus efficace. Notons aussi qu'un des pouvoirs magiques de l'opéra - il en est au moins un autre que nous reverrons - réside peut-être en cet enlacement d'oeuvres de durée et de forme variées qui s'opposent ou se complètent, duo, récitatif ou quatuor.
Le temps détaillé d'une oeuvre, musique ou discours, a plutôt la seconde comme unité. Il rend compte de la vélocité de l'expression, c'est à dire de la quantité d'informations par seconde de message entendu. Mais pour comprendre quelqu'un qui parle de plus en plus vite, il faut faire de plus en plus attention. Et puis brusquement, à partir d'un certain débit, plus rien n'est compris: le cerveau est dépassé; nous verrons les limites normales de celui-ci. A l'inverse, quand l'audition est mauvaise, le cerveau travaille beaucoup plus pour retrouver un sens à l'information tronquée qu'il reçoit. C'est pour cela qu'il faut diminuer le débit, parler lentement à un sourd pour lui laisser le temps de travailler, de deviner souvent, pour comprendre.
Cette notion de temps détaillé est fondamentale en musique. On l'appelle agogique. Elle est à l'origine de la distinction entre blanche, noire, croche etc. ... qui attribue à une noire la valeur d'une demi seconde environ. Cette agogique reste d'ailleurs rarement absolue, tellement la vie a besoin de règles certes, mais aussi de liberté. Elle est souvent modifiée par les indications du compositeur (adagio, presto etc. ...) et, à chaque exécution, par l'état psychologique du ou des musicien(s). Elle l'est aussi par l'indication de la mesure, qui est caractérisée par le fait qu'un groupement de temps identiques (2/4, 4/4, 9/12) est pensé et ressenti comme une unité, déterminant un caractère cyclique, c'est-à-dire la répétition d'une même formule. Elle l'est enfin par la battue de la note la plus brève, qui, du chant grégorien aux oeuvres de Messiaens ou Boulez permet des groupements très libres d'unités temporelles différentes.
La répétition appartient à ce paramètre durée. Elle peut être la répétition plus ou moins poursuivie du même mot ou d'une même note. Elle peut porter sur la fréquence ou l'intensité : cela permet de définir la tonalité d'une voix ou le rythme d'une musique. Elle peut être plus complexe encore et réaliser dans l'amplitude et la fréquence des symétries, des translations, des homothéties. En outre, dès la première écoute de l'oeuvre, cette répétition, qu'elle soit d'ordre musical, ou qu'elle intéresse des mots ou des phrases fait appel à la mémoire, c'est-à-dire à la coopération de l'auditeur, mémoire qui nous le reverrons est essentielle à la compréhension d'un message.
La mesure du temps infinitésimal appartient à l'oreille interne et au cerveau auditif. C'est cette faculté qui permet de reconnaître le nombre de vibrations par seconde d'un son, c'est-à-dire la hauteur d'une note, ou de distinguer les multiples notes qui composent un bouquet sonore. Nous allons voir comment l'oreille s'y prend. Mais comme pour toute appréciation, là aussi la mémoire est mise à contribution. La mémoire auditive conditionne la reconnaissance, c'est à dire la différenciation des sons ou des notes. Elle permet de noter leurs particularités et souvent de leur donner un nom, tels ceux de la gamme par exemple.
Certaines de ces appréciations sont pourtant possibles de manière extraordinairement précoce, sans qu'on leur trouve le temps d'un apprentissage suffisant. La notion de l'octave par exemple, qui est un doublement de la fréquence, est remarquable parce que sa perception ne semble rien devoir à l'éducation: le nourrisson de 8 mois est déjà capable de la reconnaître. Mais remarquons que malgré cela l'octave n'est pas l'intervalle privilégié par les musiciens professionnels. Peut-être est-ce en raison des distorsions qu'apporte d'octave en octave le doublement répété d'une fréquence, qu'il a bien fallu "tempérer" vers le XV° siècle pour réaliser des polyphonies instrumentales. C'est la quinte qui parait aux musiciens l'écart privilégié, sans qu'ils puissent expliquer pourquoi. Nous verrons qu'il y a peut-être depuis peu une explication physiologique à cela.

des informations plus précises se trouvent également dans le livre cité plus haut:

http://recorlsa.online.fr/oreillemusicienne/index.html

 

LA PHASE

Parlons encore d'une autre caractéristique physique des sons: la phase. Les variations de pression qui forment un son réalisent une succession de pression et de dépression: je tire en haut, je ne tire plus, je pousse en bas, je ne pousse plus, et ainsi de suite. Et si d'aventure 440 fois par seconde j'effectue ces petits gestes, je réalise alors un son qui est le LA-3, le son du diapason des musiciens, la note qui sur le clavier est au milieu, près de la clé qui ferme le piano. Mais supposons qu'à côté de moi quelqu'un fasse la même chose, mais en inversant le mouvement: il pousse quand le tire, et il tire quand je pousse, et ceci exactement au même rythme que moi: il va réaliser exactement le même son. Cependant son LA-3, qui sonnera de la même manière, sera en opposition de phase avec le mien. Si ces deux sources sonores sont placées de telle manière que le sens et l'énergie qu'elles dégagent s'annulent - le plus simple est qu'elles soient placées au même endroit - mon oreille n'entendra plus rien.
Ce phénomène est à la base de certaines recherches modernes permises par l'informatique et la numérisation des sons, qui consistent à essayer d'annuler un bruit de fond régulier et connu par un contre-bruit en opposition de phase. Des résultats très encourageants sont déjà obtenus, à la condition toutefois que la composante spectrale de ce bruit parasite soit exactement connue, telle celle du ronron de certains moteurs. Il est nécessaire en effet que générateur de sons qui va l'annuler puisse à la fois reproduire fidèlement celle-ci, et se caler exactement en opposition de phase avec lui. Dans le quotidien cette circonstance est malheureusement rarement rencontrée: le bruit de fond est habituellement un fouillis d'oscillations de fréquences aléatoires imprévisibles: on ne peut les reproduire sans prendre un certain retard nécessaire à les analyser, et il ne servirait à rien d'envoyer un autre son aléatoire, car deux hasards successifs ne sont jamais semblables.
Mais si ces deux sources sont séparées par une légère distance, leur énergies, qui par l'amortissement dans l'air ne seront plus exactement semblables, arriveront de plus à mon oreille avec un léger décalage de phase, lié au temps mis par l'onde de pression pour franchir cette distance. Ce décalage est l'un des moyens grâce auxquels nous allons localiser dans l'espace ces deux sons pourtant simultanés et identiques. On l'a pressenti, l'autre moyen sera l'effet de masque de mon crâne, qui entraînera une différence d'intensité des sons respectivement perçus par chacune de mes deux oreilles.

Ainsi l'oreille sent-elle aussi l'espace.

La disposition des sources sonores les unes par rapport aux autres conditionne la nature du message qui parviendra à l'auditeur. Le contenu du mixage ainsi réalisé est influencé en particulier par la position occupée par l'auditeur au regard de la source sonore, mais aussi par la quantité d'énergie réfléchie par les murs de la salle. Les parois poreuses absorbent les aigus, les parois lisses atténuent les graves. C'est une des raisons qui font par exemple que l'architecture d'une église soit une composante importante de la musique sacrée, qui ne convient pas forcément à tous les types de musique.
L'emploi de plus en plus courant des microphones et des haut-parleurs contribue encore plus à modifier le message reçu, qu'il s'agisse de sonoriser des salles immenses ou d'entraîner des effets spéciaux.

Chanter dans la rue en quêtant devant la terrasse des cafés entraînait autrefois la commisération des consommateurs, qui retrouvant des sonorités d'intensités usuelles, remplissaient volontiers l'escarcelle du troubadour. Cependant aujourd'hui nos jeunes artistes du bitume, cultivant le moindre effort, c'est la mode, s'aident d'ampli puissants montés sur accus pour hypertrophier leur organe. Mais hélas le bruit est tel, et tellement insolite, que les porte-monnaie se ferment, et les oreilles agacées aimeraient bien en faire autant.

La numérisation des sons

Les techniques numériques, à la base des appareils "laser", fournissent une très grande fidélité d'enregistrement et de reproduction des sources sonores les plus diverses. Elles permettent de les épurer, d'améliorer les graves, d'augmenter les aigus, de diminuer le bruit de fond, voire même de gommer certains bruits parasites. Les prises de sons annulent une porte qui bouge, un auditeur qui tousse, etc.

On en arrive ainsi à des messages déshumanisés, parce que stérilisés.

Car l'oreille perçoit aussi les odeurs sonores minuscules de la vie de tous les jours, auxquelles nous ne prêtons presque jamais une attention consciente. Mais elle peut souffrir de ce qui devient de véritables distorsions dans certains enregistrements haute-fidélité qui, à force d'avoir supprimé tous les bruits parasites inévitables dans une salle de concert, annihilent également la chaleur humaine du plaisir partagé qui emplissait celle-là.

Ce bruit de fond, qui dans ces enregistrements trop purs nous manquent pour sentir l'intensité d'un concert, l'effort des instrumentistes, la persuasion du chef d'orchestre, c'est aussi la vie multiple des spectateurs et le souffle de l'admiration.

Pour d'autres au contraire le bruit de fond est un tissu informe de parasites qui masquent le signal, salissent l'écoute, et gênent la compréhension. Le bruit de fond a un double visage.

Son profil hédonique est une ambiance, une rumeur, le bruit régulier et rassurant des respirateurs monitorisés lorsque j'opère, le long bruissement de la ville qui monte vers mon douzième étage, le flottement de toutes ces existences qui palpitent en bas dans les rues.

Mais c'est aussi le brouhaha qui me gêne pour entendre, le froissement d'un papier qui a recouvert la moitié de ta phrase, et me l'a rendu incompréhensible; ou bien c'est le bruit d'un dîner de famille, au sein duquel les voix de tous m'empêchent de comprendre la tienne. De ce Janus qu'est le bruit de fond, c'est cette face nocive qui nous gêne le plus quand on s'occupe de surdité. On le retrouve partout. Il noie l'information et c'est à cause de lui sans doute qu'un des rôles de l'oreille interne est d'accentuer, de caricaturiser presque le message signifiant pour le faire émerger de ce bruit de fond sonore qui l'accompagne toujours.
Mais en plus de ce bruit de fond presque naturel, il existe un autre bruit, qui est artificiel et généré par les efforts thérapeutiques les mieux intentionnés. Un ronronnement, pas forcément sonore comme ces gros transformateurs qui parsèment nos campagnes, mais toujours aléatoire et lancinant, est toujours retrouvé dans le moindre circuit électronique, à la base de toute prothèse auditive. De ce fait le signal émis par celle-ci sera toujours plus ou moins parasité. Le plus incontournable de ses composants, la résistance électrique, fait du bruit, et ce bruit est proportionnel à la température absolue de cette résistance !

Cela veut dire qu'il faudrait s'approcher du froid astral pour abaisser le bruit de ce courant électrique. Pour l'éteindre, il faudrait atteindre la mort intersidérale.

A la réflexion le bruit de fond est donc synonyme de vie. Lorsque j'éteins ma prothèse acoustique, elle cesse de me gêner par son bruit, en même temps qu'elle me prive de son aide. Quand je mourrai, le bruit de mon coeur et le chuintement parfois si gênant de mes oreilles cesseront de m'importuner.
L'imperfection des instruments de l'homme, au regard de ses espoirs, est responsable d'un bruit de fond qui encrasse les résultats escomptés au cours de ses hypothèses théoriques les plus belles. Les démonstrations mathématiques les plus brillantes se salissent de bruit quand on demande aux ordinateurs de démontrer leur bien fondé. La manipulation la plus précise des grands nombres se fait toujours de manière approximative, même par les microprocesseurs les plus puissants. Et à la longue ces micro erreurs successives en s'additionnant finissent par ternir des réponses qu'on eut souhaitée immaculées. Mais, pour gênant qu'ils soient, ces bruits de calcul restent toujours des signes de vie, comme le bruissement de l'autoroute lointaine qui arrive parfois par vent d'ouest, où les chants des oiseaux un matin de printemps.

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Voyons maintenant les Organes qui nous permettent d'entendre